Bianca Grenier est mère de deux enfants atteints d’une maladie héréditaire rarissime. Grâce à des collectes de fonds innovantes, elle a trouvé un moyen de faire avancer les recherches de la Dre Nancy Braverman, généticienne médicale spécialiste des maladies rares, un domaine trop souvent négligé dans la recherche en santé.

Par Jean-Benoît Nadeau pour FMHS McGill

Il aura fallu quatre ans et demi, et des dizaines de rendez-vous et de tests médicaux pour que Bianca Grenier et Patrick Dubois obtiennent enfin un diagnostic pour la maladie qui frappe deux de leurs trois enfants. Éliane et Jérémy, 8 et 14 ans, souffrent d’une maladie héréditaire rarissime : le « trouble de la biogenèse des peroxysomes dans le spectre du syndrome de Zellweger ». « Rien que de comprendre ce qui arrivait à nos enfants, ç’a été toute une odyssée », raconte la mère de 38 ans, ancienne préposée aux bénéficiaires dont la vie a été chamboulée par cette maladie au nom impossible« C’est une maladie très rare avec des manifestations très diverses. Jérémie souffrait de problèmes moteurs alors que Éliane était accablée de fatigue qui la faisait dormir 20 heures par jour », explique la Dre Nancy Braverman, généticienne médicale au Centre université de santé McGill (CUSM), professeur titulaire au département de pédiatrie de l’Université McGill et maître de recherche à l’Institut de recherche du CUSM (IR-CUSM). Heureusement, les deux enfants, qu’elle suit depuis 2018, réagissent bien à un médicament qui leur permet de mener une vie presque normale, même si le fauteuil roulant et la marchette ne sont jamais loin. « Je suis chanceuse, dit Bianca Grenier, mes enfants marchent encore, même s’ils ne guériront jamais. »

Au lieu de se décourager, Bianca Grenier a décidé de se battre. Quelques mois après le diagnostic en 2018, elle a lancé une première campagne de financement pour la recherche à travers une vente de gâteau aux fruits pour Noël 2018. Cette première campagne, réalisée avec la collaboration d’une pâtisserie industrielle de la région de Granby où elle vit, lui a permis d’amasser 7 000 dollars la première année, qu’elle a reversés au laboratoire de la Dre Braverman. Elle en est à sa troisième année, après avoir réorienté ses efforts sur la vente de savons en 2020, qui lui a permis de recueillir 3 000 dollars malgré la pandémie. « Et on a manqué de savons », raconte-t-elle, fièrement, même si elle admet regretter de ne pouvoir en faire plus. « Je me perdrais là-dedans et je dois m’occuper des enfants. »

Bianca Grenier ne se fait pas trop d’illusions sur l’importance financière de cette contribution, car le gain est avant tout psychologique. « Comme parents, on se sent tellement impuissants. Une levée de fonds est la seule chose que je peux faire pour me sentir utile. »

Nancy Braverman juge Bianca Grenier trop modeste. « Chaque sou compte. Oui, c’est une goutte d’eau dans l’océan, mais c’est l’idée qui compte. La collecte de Bianca a été une source de motivation pour mon laboratoire. » Étudier une maladie quasi inconnue, identifier des méthodes faibles de diagnostic, documenter les remèdes qui ont un effet, créer une thérapie, ça prend du temps et ça peut coûter cher – plus de quatre millions de dollars pour en arriver à un petit essai clinique de phase 1, si ça marche. « Le financement que nous avons reçu de la famille Grenier-Dubois a permis de lancer une première série de tests de criblage à haut débit pour identifier les molécules capables d’agir sur le gène en plus de permettre de produire un premier résumé des connaissances cliniques, biochimiques et moléculaires. »

Le cas de la famille Dubois-Grenier est exceptionnel du fait que les enfants sont atteints de la version la plus rare d’une maladie rare liée à la malformation de 13 gènes dit Pex, responsables de la production de la membrane appelée peroxysome qui est impliquée dans la métabolisation des acides gras et des acides aminés. La forme la plus courante de la maladie, liée aux gènes Pex-1 et -6, entraîne des troubles de vision et d’ouï et des problèmes cognitifs. « Mais Jérémie et Éliane n’ont rien de tel. Leurs fonctions cognitives sont intactes. Leur problème vient du Pex-16, qui entraîne une dégénérescence de la substance blanche du cerveau. Ça se manifeste par un tonus musculaire anormal et l’atrophie. Et le fait qu’ils répondent bien à un médicament est l’un des aspects les plus intrigants de cette maladie. »

C’est un stagiaire du laboratoire, Anthony Cheung, étudiant en médecine de 4e année à McGill, qui a été le premier à constater cette particularité pharmacologique en préparant le résumé des connaissances sur la maladie. Selon la Dre Braverman, c’est cette observation qui a piqué l’intérêt pour que le Collège de génétique médicale des États-Unis [American College of Medical Genetics], qui lui offert le privilège rare de réaliser une présentation de dix minutes devant les 5 000 participants au congrès annuel en avril prochain. « Chaque fois qu’on constate une amélioration aussi importante, ça fait bouger les choses et ça donne de l’élan, dit Dre Braverman. Certains participants pensent peut-être à une thérapie. »

La Dre Braverman explique que la lutte aux maladies rares exige la collaboration et de l’originalité. Par exemple, avant même le diagnostic génétique de la maladie, ce sont les neurologues de la faculté de médecine à Sherbrooke qui ont imaginé de soigner Jérémy et Éliane en utiliser Sinemet, un médicament servant normalement au traitement de la maladie de Parkinson. Et récemment, une collaboration entre une neurologue, une radiologiste et une neuroradiologiste de l’IR-CUSM a permis de développer une méthode de diagnostic fiable utilisant l’IRM, ce qui permettra d’identifier plus de cas et de débuter les traitements plus tôt.

« Les personnes atteintes de maladies rares souffrent non seulement de la maladie elle-même, mais des insuffisances du système médical, de diagnostics incorrects, de traitements retardés offerts à des prix exorbitants », explique Émilie Pichette, étudiante en médecine de 2e année à McGill et présidente de rareDIG, un groupe d’intérêt qui vise à sensibiliser les étudiants au problème et à susciter des vocations. Elle explique qu’une maladie est « rare » si elle affecte moins d’une personne sur 2000, selon la définition de l’Organisation mondiale de la Santé. L’enjeu est considérable sachant que les 7 000 maladies rares connues affectent 5 % de la population mondiale. Et près de 80 % de ces maladies sont héréditaires. L’an dernier, l’étudiante était parmi le groupe de 50 étudiants de McGill qui ont produit une série d’articles sur des maladies différentes pour la National Organization for Rare Disorders.

Comme tous les généticiens de la planète, la Dre Nancy Braverman est en quête du Saint-Graal : la thérapie génique, qui remplacera ou corrigera le gène pathologique.

Ses essais de criblage ont déjà identifié une molécule qui pourrait avoir un impact surlePex-1. Elle compte profiter de cette expérience pour réussir le même coup pour le Pex-16, même si un premier essai a été décevant. « Eh bien, c’est ça, la recherche, dit-elle. Mais si ça marchait tout le temps, ce ne serait pas de la recherche. Nous avons d’autres idées, alors nous continuons d’essayer. On ne lâchera pas. »

Ce qui facilite la tâche de la Dre Braverman, c’est que la famille Grenier-Dubois est extrêmement motivée pour participer à tous les aspects de la recherche : les examens, les tests, les entrevues, les prélèvements de peau. « Je suis pleine d’espoir devant les progrès de la thérapie génique », dit Bianca Grenier. « Il y a quelques années, on n’aurait jamais pu diagnostiquer la maladie de mes enfants. Maintenant, on commence à savoir ce qui se passe et ça ouvre des portes. On est sur le portique. »

31 mars 2021