Par Annette Mahon

Bilingue depuis l’enfance, la Pre Elin Thordardottir, de l’École des sciences de la communication humaine de la Faculté de médecine de l’Université McGill, connaît bien les défis et les avantages associés à l’apprentissage de plusieurs langues. Née en Islande, puis ayant vécu en France de 8 à 14 ans, elle a connu certaines des situations qu’elle étudie aujourd’hui.

« J’ai de vifs souvenirs d’être le centre d’attention dans ma classe, sans rien comprendre de ce qui s’y disait », mentionne-t-elle. « J’ai appris le français sans problème, mais j’ai eu de la difficulté à composer avec ce genre de situation à l’école. »

La professeure multilingue s’intéresse à l’acquisition des langues et aux troubles du langage dans une myriade de contextes culturels. Elle se consacre justement à l’étude de ces phénomènes durant un congé sabbatique qui l’a menée de Montréal en Islande, en Espagne et en Pologne, où elle explore les différences et similitudes culturelles dans la vision qu’ont les orthophonistes des troubles du langage et des variables qui influencent l’habileté d’un enfant à apprendre une langue.

Depuis dix ans, elle s’appuie sur sa maîtrise de l’islandais, de l’anglais et du français pour explorer l’impact des expériences que vivent les enfants bilingues dans chaque environnement linguistique sur leur rythme d’apprentissage du vocabulaire et de la grammaire de chaque langue. Les résultats de ses recherches sont étonnants, même à ses propres yeux. « Nous avons l’habitude de penser que pour l’acquisition d’une langue seconde, le plus tôt est le mieux », explique-t-elle. « Cette idée est maintenant remise en question. »

Dans ses recherches, Elin compare des enfants de 7 et 9 ans qui ont commencé à apprendre une deuxième langue très tôt ou dès la naissance (qualifiés de bilingues simultanés) à d’autres pour qui l’apprentissage a commencé plus près de l’âge scolaire (ou bilingues séquentiels). À Montréal – un milieu unique où deux langues fortes cohabitent –, elle a découvert que l’âge auquel l’enfant commence à apprendre une deuxième langue n’est pas aussi important que le niveau d’exposition aux deux langues.

Et en Islande?

L’immigration en Islande, et donc l’apprentissage de l’islandais comme langue seconde chez les enfants, sont des phénomènes relativement récents. Il semble que le niveau d’exposition à cette langue ne soit pas le meilleur prédicteur de l’habileté langagière, ce qui témoigne d’un aspect translinguistique du processus d’apprentissage. L’une des variables potentielles qu’elle étudie est la motivation – la valeur économique de la langue à acquérir. L’islandais est une langue minoritaire à l’échelle mondiale, rarement utilisée à l’extérieur de l’Islande. Elin a donc exploré l’apprentissage de l’anglais comme troisième langue chez les enfants immigrants, car ces derniers affirment parfois qu’ils sont meilleurs en anglais ou que cette langue est plus intéressante.

« Ce genre de réflexion s’éloigne de la mesure passive du niveau d’exposition et s’intéresse au rôle de la personne dans le processus d’apprentissage », ajoute-t-elle.

La Pre Thordardottir s’est forgé une solide réputation dans son domaine en près de 20 ans à l’École des sciences de la communication humaine. Ses travaux ont mené à la création de plusieurs outils d’évaluation et de diagnostic destinés à dépister les troubles du langage chez les enfants anglophones, francophones et islandophones et à conseiller leurs parents, au Québec et dans son Islande natale. En tant que responsable de la recherche au CRIR-Institut Raymond-Dewar, à Montréal, elle attache une grande valeur au travail en milieu clinique, où elle peut mettre sa perspective scientifique à profit pour recommander des méthodes d’évaluation et d’intervention appropriées aux cliniciens. Elle a récemment reçu le Prix du rédacteur en chef 2017 d’Orthophonie et Audiologie Canada pour son article « Comparaison des échantillons de langage longs et courts : une procédure clinique pour l’évaluation du langage en français ».

En plus de divers outils d’évaluation du langage en français au Québec, ses travaux ont également conduit à l’élaboration d’un test d’évaluation du langage en islandais langue seconde, maintenant utilisé chez les élèves immigrants dans toutes les écoles de Reykjavik. Elle a également contribué à changer les politiques sur la durée et le type de services en islandais langue seconde offerts aux enfants dans les écoles islandaises.

Comme vice-présidente du comité de direction d’une action COST de l’Union européenne visant à améliorer les services aux enfants ayant un trouble du langage dans 34 pays d’Europe, elle peut aussi explorer les différences culturelles dans la définition et le diagnostic des troubles du langage, le genre de services offerts, l’accès à ces services et les obstacles qui l’entravent.

« Ma vision de la recherche a changé au fil des ans, et c’est justement l’effet qu’est censée avoir la recherche », affirme-t-elle. « Pour moi, il s’agit de répondre à des questions théoriques qui sont pertinentes dans la pratique. » Armée de nouvelles connaissances et d’une perspective de recherche enrichie, Elin Thordardottir reviendra de son année sabbatique en septembre, prête à pousser encore plus loin son exploration du langage.

Le 26 mai 2017