Une étude révèle que les inégalités socioéconomiques influencent l’accès au traitement du sida, malgré l’universalité des soins de santé
Centre universitaire de santé McGill
Les Québécois ne seraient pas tous égaux quant à l’accès au traitement antirétroviral pour le VIH/sida, révèle une étude rétrospective menée par une équipe de l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR‑CUSM) en collaboration avec des cliniques et des centres hospitaliers universitaires à Montréal. Les chercheurs ont observé que les personnes infectées par le VIH qui dépendent de l’aide sociale ou d’autres programmes de sécurité du revenu ne bénéficiaient pas d’un accès précoce au traitement antirétroviral, vraisemblablement à cause de leur statut socioéconomique faible.
Malgré l’universalité des soins de santé au Québec, les personnes à faible revenu luttent pour avoir un accès précoce au traitement antirétroviral dont elles ont besoin, comme l’indique l’étude publiée dans le Journal of the International AIDS Society. Le traitement antirétroviral précoce joue un rôle clé dans la réduction du nombre de problèmes de santé liés ou non au sida, qu’il s’agisse de maladies cardiovasculaires, de troubles rénaux, de troubles hépatiques, de troubles neurocognitifs ou de cancer chez les personnes atteintes du VIH. De plus, le traitement précoce réduit grandement le risque de transmission du VIH.
« Les résultats de notre étude démontrent la nécessité de prendre en considération les facteurs socioéconomiques pour mieux maîtriser l’épidémie du VIH au Canada. Il est possible que les personnes vulnérables sur le plan économique courent un plus grand risque de complications parce qu’elles ont accès plus tardivement au traitement antirétroviral », déclare l’auteur principal de l’étude, le Dr Jean-Pierre Routy, scientifique au sein du Programme en maladies infectieuses et immunité en santé mondiale à l’IR-CUSM et hématologue au service des Maladies virales chroniques du CUSM.
De 1996 à 2015, l’équipe de chercheurs dirigée par le Dr Routy s’est penchée sur le cas de 549 patients au début de leur infection. Les chercheurs ont conclu que les participants à l’étude dépendant d’une forme de sécurité du revenu, comme l’aide sociale ou l’assurance-emploi, n’avaient pas eu nécessairement accès au traitement antirétroviral précoce. En fait, les travailleurs étaient deux fois et demie plus susceptibles de commencer un traitement antirétroviral précoce que le groupe de patients dépendant d’une forme de sécurité du revenu.
Cet accès tardif au traitement nuit à la lutte contre le VIH au Québec, car malgré l’universalité des soins de santé et de l’assurance-médicaments, les soins semblent inéquitables.
« Les personnes sans emploi qui dépendent d’un soutien du revenu ont tous les jours des décisions difficiles à prendre quant à l’utilisation de leurs ressources limitées. L’existence de besoins concurrents peut se traduire par une moins grande capacité à s’engager dans un traitement et à assumer les dépenses qui y sont liées. Cette population a besoin d’aide », ajoute le Dr Routy, qui est aussi professeur à la division d’hématologie du Département de médecine de la Faculté de médecine de l’Université McGill.
« Cette étude est très importante, car elle démontre que des personnes retardent le début de leur traitement ou le cessent pour des raisons financières, mettant ainsi leur santé en danger », renchérit le Dr Réjean Thomas, un des coauteurs de l’étude et le président-directeur général et fondateur de la clinique médicale l’Actuel. « Il s’agit d’un enjeu de santé publique très préoccupant, car on sait depuis plusieurs années qu’une personne séropositive sous trithérapie ayant une charge virale indétectable ne peut pas transmettre le VIH. »
Et d’ajouter, « dans une clinique spécialisée comme l’Actuel, plus de 90 % des patients diagnostiqués commencent un traitement très tôt après le diagnostic, alors que cette proportion s’élevait à 30 % il y a 10 ans.»
« L’incidence des types de centres de soins sur le début d’un traitement précoce est l’une des conclusions intéressantes de l’étude à laquelle nous ne nous attendions pas », explique l’auteur principal de l’étude, le Dr Vikram Mehraj, boursier de recherches postdoctorales du Programme en maladies infectieuses et immunité en santé mondiale à l’IR‑CUSM. « Nous croyons que cette conclusion peut en partie s’expliquer par le fait que les patients plus malades ont davantage recours aux services des urgences des centres hospitaliers universitaires ».
Le Dr Rejean Thomas rappelle que contrairement à la France ou à la Colombie Britannique, par exemple, le traitement antirétroviral pour les personnes atteintes du VIH n’est toujours pas entièrement gratuit au Québec (coût annuel de 28 000 $ à 36 000 $). Et d’ajouter : « Si nous voulons éradiquer le VIH d’ici 2030, conformément aux objectifs de l’entente d’ONUSIDA signée par la Ville de Montréal le 1er décembre 2017, il faut sérieusement réfléchir à cette option! »
L’étude citée ci-dessus a bénéficié des subventions suivantes : Fonds de recherche du Québec- Santé (FRQ‑S) : Réseau Sida/Maladies infectieuses et thérapie cellulaire; Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC; subventions 103230 et 154051 – Programme ouvert de subventions de fonctionnement (MOP); Réseau canadien pour les essais VIH des IRSC (CTN; subvention CTN 257); Fondation canadienne de recherche sur le SIDA (CANFAR; subvention 02-512); Consortium canadien de recherche sur la guérison du VIH (subvention HIG-133050 accordée par les IRSC, en partenariat avec CANFAR).
Mehraj V. et coll., Journal of the International AIDS Society 2018, 21:e25034
Vikram Mehraj1,2, Joseph Cox1,2,3, Bertrand Lebouche1,2,4, Cecilia Costiniuk1,2, Wei Cao1,2,5, Taisheng Li5, Rosalie Ponte1,2, Rejean Thomas6, Jason Szabo1,6, Jean-Guy Baril7, Benoit Trottier7, Pierre Côté7, Roger LeBlanc8, Julie Bruneau9, Cécile Tremblay9,10, Jean-Pierre Routy1,2,11 and for the Montreal Primary HIV-Infection Study Group*
Le Devoir | La pauvreté nuit au traitement précoce contre le VIH
La Presse | Des inégalités dans le traitement du VIH
Le 19 avril 2018