L’initiative est la première du genre à l’Université

De gauche a droite: Omar Orbegozo Zavala, Kira Perlman, Jeanie Morry et Allyson Trainor
De gauche a droite: Omar Orbegozo Zavala, Kira Perlman, Jeanie Morry et Allyson Trainor

Wikipédia offre une abondance d’information sur les sujets les plus divers, mais on sait depuis longtemps qu’elle n’est pas aussi complète qu’on pourrait le souhaiter. Certains articles sont erronés, proposent de l’information scientifique non factuelle, sont mal structurés ou citent trop peu de sources. D’autres pages sont vides ou à l’état d’ébauche.

La professeure adjointe Nicole Li-Jessen, de l’École des sciences de la communication humaine de l’Université McGill, a décidé de contribuer à rectifier le problème. Dans son cours de deuxième cycle sur les troubles de la voix, le premier à McGill à prendre part à l’initiative WikiEdu de Wikipédia, la Pre Li-Jessen a ciblé sept articles de l’encyclopédie en ligne qui présentaient des lacunes et a demandé à ses étudiants en orthophonie de les retravailler.

Quatre de ses étudiants – Omar Orbegozo Zavala, Kira Perlman, Jeanie Morry et Allyson Trainor – ont choisi de s’attaquer à la page anglaise consacrée à la thérapie orthophonique pour les personnes transgenres. « Certains des articles proposés, celui sur les nodules par exemple, étaient déjà abordés en détail en classe », dit Omar, expliquant son choix de sujet. « À ma connaissance, cette question n’était pas au programme du cours, donc j’ai cru qu’il serait intéressant de l’explorer. » Les autres membres du groupe se sont intéressées au sujet pour des raisons similaires. Jeanie souhaitait creuser la question après avoir assisté à une séance de thérapie orthophonique auprès d’une personne transgenre alors qu’elle faisait du bénévolat avec une orthophoniste.

Le choix de ce sujet de recherche relativement nouveau a posé un défi particulier à l’équipe, les publications existantes étant beaucoup moins nombreuses que pour les autres articles. « Pour des sujets comme les nodules ou la laryngite, qui sont étudiés depuis très longtemps, tous les médecins savent nous pointer dans la bonne direction », mentionne Omar. « Mais les médecins ne connaissent pas toujours très bien les questions liées à la transidentité. Le tableau change aussi continuellement, avec les recherches en cours sur les différentes thérapies, et l’information n’est pas toujours très claire. »

Une technologie à apprivoiser

Après avoir choisi leur sujet, l’équipe devait d’abord apprendre à manier Wikipédia. « Nous avons suivi des tutoriels et appris à exploiter l’environnement Wikipédia, à faire des révisions, à créer des liens vers d’autres pages Wikipédia – beaucoup de manipulations techniques que nous ne pensions pas apprendre dans notre programme d’orthophonie », explique Jeanie.

Au départ, Kira redoutait un peu les aspects techniques du projet, mais, dit-elle, « une fois le projet commencé, j’ai réalisé que ce n’était pas difficile du tout, malgré mon peu de connaissances technologiques. »

Une fois à l’aise avec la plateforme, l’équipe s’est attelée à la rédaction de l’article, ayant en main les fruits de leur recherche. « Au début, c’était tentant de partir de la page existante », précise Jeanie. « Mais nous avons vite réalisé que c’était tellement mal fait – par exemple, certaines des sources citées étaient en fait des blogues – qu’il valait mieux recommencer à neuf. »

Contrairement aux travaux universitaires habituels, l’équipe devait rédiger pour un lectorat non averti. « Puisqu’il fallait écrire l’article pour le grand public, nous avons dû apprendre comment traduire les connaissances cliniques et scientifiques que nous avions acquises en des termes accessibles à quiconque voulait se renseigner sur le sujet », ajoute Allyson. « C’est une habileté très importante à développer. Dans des rencontres en personne et en milieu clinique, il faut savoir expliquer les concepts pour que notre interlocuteur nous comprenne. »

« J’ai trouvé ce projet excellent parce que notre travail peut maintenant être consulté et utilisé dans le monde entier », explique Jeanie. « Ce n’est pas juste un document déposé sur le bureau de notre professeure, qui sera lu par une seule personne. Notre travail sera utile à quiconque s’intéresse au sujet, mais aussi à d’autres orthophonistes qui ne voient pas régulièrement de personnes transgenres et qui ont besoin de se rafraîchir la mémoire lorsqu’une telle personne se présente à leur bureau. Dans de tels cas, c’est bien de pouvoir aller vers cette ressource fiable, fondée sur une recherche solide. »

Un travail satisfaisant

« Au final, j’ai eu du plaisir à réaliser le projet et je suis très fière de notre article », affirme Kira. Les membres de l’équipe disent d’une seule voix que le projet les a aidés à comprendre le sujet en profondeur, après avoir analysé l’information technique tirée d’articles de recherche pour la transposer en langage courant, accessible à tous. Les membres de l’équipe se sont concentrés sur leur article et n’ont peut-être pas autant creusé les six autres sujets, mais ils sont heureux que les articles soient tous accessibles sur Wikipédia. « Nous pouvons maintenant consulter les articles des autres équipes pour en apprendre plus sur leurs sujets », rappelle Jeanie. « J’ai d’ailleurs déjà utilisé ces articles pour un autre travail. »

« Je crois que la façon d’enseigner de la Pre Li-Jessen est remarquable », souligne Allyson. « Surtout dans sa façon de sensibiliser les gens le plus possible, de rejoindre le grand public et d’organiser des événements et des journées pour que tout le monde puisse en apprendre davantage. » L’article Wikipédia contribue à faire connaître la profession, puisque l’article original ne mentionnait qu’une ou deux fois le rôle de l’orthophoniste dans la rééducation vocale pour les personnes transgenres. « Maintenant, nous pouvons vraiment montrer toute l’étendue de notre rôle. C’est une bonne façon de mieux faire connaître la profession au public, ce qui est important pour tout le monde dans le système de santé. »

Compte tenu de la nature de Wikipédia et des sujets traités, l’exercice pourra sans doute être répété avec d’autres groupes. « Nous avons essayé de faire un bon travail de fond, mais on pourrait ajouter beaucoup d’éléments », explique Kira. « Par exemple, nous avons rédigé toute une section sur le traitement thérapeutique et abordé beaucoup de sujets, mais n’avons pas pu traiter par exemple de la modification du timbre, du travail sur la prosodie et le langage corporel, et de plusieurs autres points que nous aurions aimé explorer. Je pense qu’on pourrait enrichir l’article encore beaucoup. »

Le projet s’avérera aussi utile aux membres de l’équipe lorsqu’ils obtiendront leur diplôme et passeront à la pratique clinique. « Je me suis rendu compte de toutes les questions auxquelles je n’avais jamais vraiment réfléchi en rapport avec la transition de genre », conclut Omar. « C’était bien d’apprendre au sujet de certains défis que je ne connaissais pas. J’ai maintenant une meilleure idée de ce que vivent les personnes trans. Comme orthophoniste, si j’ai des clients qui sont en transition, j’aurai une meilleure idée de leurs besoins grâce à ce projet. »

Le 23 mars 2017