Depuis 2017, la clinique infirmière McGill-Bonneau offre des stages hors du commun aux étudiantes et étudiants de l’École des sciences infirmières Ingram. En janvier dernier, la formule gagnante a été instaurée dans cinq autres organismes communautaires, grâce à un don de 800 000 $ de la Sun Life.
Gisèle Poirier travaillait à la clinique infirmière McGill-Bonneau quand un intervenant lui a présenté un homme qui hésitait à se faire soigner. L’infirmière clinicienne dirige la clinique, qui a été créée en 2017 et est tenue deux jours par semaine à l’Accueil Bonneau. Avec des équipes de six étudiantes et étudiants en stage, elle offre des soins infirmiers dans les trois maisons de l’organisation qui hébergent des hommes à risque d’itinérance. L’homme a fini par accepter qu’elle prenne ses signes vitaux. « Sa pression artérielle était dangereusement élevée », se rappelle l’infirmière. Elle lui a recommandé de se rendre à l’hôpital, mais il a préféré ne pas y aller.
En dépit de cette réticence, Gisèle Poirier a pu continuer de faire un suivi chaque semaine avec lui, l’incitant peu à peu à prendre soin de sa santé. « Après un mois, il a accepté de consulter un médecin, qui lui a prescrit un médicament contre l’hypertension. »
Depuis, l’homme se présente chaque semaine à la clinique infirmière. « Il avait pris l’habitude d’arriver tôt avec son journal et d’attendre. Il était très enthousiaste. » L’infirmière est ravie de dire que sa pression artérielle est désormais normale. Il voit aussi un physiothérapeute et fait tous les jours des exercices pour traiter une paralysie partielle.
Ce modèle fructueux instauré à la clinique McGill-Bonneau, qui mise sur la réintégration des clients dans le système de santé, jumelée à la formation infirmière communautaire, est désormais en place dans cinq autres organismes montréalais grâce à un financement de 800 000 $ de la Sun Life. Les fonds ont permis d’ouvrir des cliniques tenues deux jours par semaine dans les locaux de La Porte Ouverte, de Chez Doris, du Centre d’amitié autochtone, du Foyer pour femmes autochtones et de la Mission Old Brewery. L’infirmier clinicien Alex Magdzinski, M. Sc. A. 2017, et l’infirmière clinicienne Lucie-Catherine Ouimet supervisent les quatre premières nouvelles cliniques, tandis que Gisèle Poirier a pris en charge la dernière. Ayant ouvert leurs portes en janvier dernier, les nouvelles cliniques offrent elles aussi des soins aux populations mal desservies, en se concentrant particulièrement sur la promotion de la santé axée sur le diabète, le dépistage et les soins directs. Elles offrent également de nouvelles occasions d’apprentissage par l’expérience et de formation clinique aux étudiantes et étudiants en sciences infirmières.
Depuis son ouverture, la clinique McGill-Bonneau a cumulé quelque 1 800 consultations avec 168 patients, dont la plupart se sont présentés plus de six fois, selon les plus récentes données. (Les données relatives aux nouvelles cliniques ne sont pas encore disponibles.) Le personnel ne prescrit pas de médicaments, mais voit des patients pour divers problèmes de santé. La majorité des visites ont pour but un suivi du diabète ou de l’hypertension, mais certaines personnes se présentent également pour une évaluation générale, des affections cutanées, des problèmes de santé mentale ou le suivi d’un problème respiratoire. Plus de la moitié de la clientèle est aux prises avec une dépendance aux drogues ou à l’alcool, et 64 % a reçu un diagnostic de trouble psychiatrique.
Selon Françoise Filion, les enjeux que vit ce groupe cible sont uniques. « Ces personnes se sentent souvent exclues du système de santé », explique la professeure à l’ÉSII et responsable de la supervision, de l’évaluation et de la recherche au Réseau de cliniques infirmières communautaires (RCIC). Hugo Marchand, BNI 2013, également professeur à l’ÉSII et directeur de projet du RCIC, ajoute que les personnes ainsi marginalisées n’ont souvent même pas de carte d’assurance maladie. Leur lien avec le système de santé a été rompu, souligne-t-il. « Le rôle de ces cliniques est de rebâtir ces liens. »
Le champ d’action des cliniques va au-delà du traitement médical et du rôle qu’aurait un hôpital, explique Françoise Filion. L’équipe vise à réintégrer les patients en posant des gestes simples, comme les aider à obtenir de nouvelles cartes d’identité ou à parler à leur médecin lors d’une consultation. « Sans les cliniques infirmières, les gens dans ces populations n’auraient jamais ce genre de soins ou de services. »
Le personnel infirmier et les stagiaires des cliniques aident aussi à briser le sentiment d’isolement chez les clients qui les consultent. Un rôle important selon Gisèle Poirier, qui voit des liens privilégiés se créer entre les stagiaires et les clients. « Les patients commencent à prendre soin d’eux-mêmes parce que nous prenons soin d’eux, souligne l’infirmière clinicienne. Je dis aux étudiantes et étudiants que le temps qu’on consacre à nos clients fait toute la différence, qu’ils ont hâte à leur rendez-vous. »
Les étudiantes et étudiants en stage dans ces cliniques élargissent leur champ d’exercice professionnel, selon l’équipe enseignante, dont les membres ont d’ailleurs remporté le Grand Prix 2019 au concours Innovation infirmière Banque Nationale de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec pour ce programme, qui serait unique en son genre au Canada. Gisèle Poirier cite l’exemple d’une étudiante qui suivait un patient ayant un problème d’alcool. « Il lui a dit “Je veux arrêter de boire”. L’étudiante s’est vraiment investie dans le projet. Elle a fait le suivi avec son patient et lui a trouvé une place dans un programme de réadaptation en dépendance de six mois. »
Même si le patient a plus tard fait une rechute, l’expérience a permis à l’étudiante de mieux comprendre les limites du travail infirmier dans les problèmes de consommation. « Notre objectif, c’est la réduction des méfaits. »
Le financement de la Sun Life couvre les salaires de trois membres du personnel infirmier clinicien et le coût des fournitures médicales jusqu’en 2024. Il permet aussi d’élargir l’offre de stages cliniques en sciences infirmières et de répondre aux besoins croissants des organismes communautaires montréalais, dont beaucoup ont été touchés de façon disproportionnée par la pandémie. Françoise Filion et Hugo Marchand voient aussi plusieurs pistes de recherche pour des projets de maîtrise sur le diabète ou les comorbidités au moyen des données provenant des cliniques. Un étudiant a d’ailleurs récemment présenté des affiches scientifiques au sujet des cliniques communautaires dans des conférences internationales. À terme, l’équipe du projet souhaite également accueillir des étudiantes et étudiants en formation infirmière praticienne spécialisée.
Les résultats de l’initiative – intégration d’une population mal desservie, nouvelles expériences de formation, partenariats renforcés avec les groupes communautaires – sont éloquents, et continuent de faire rayonner les soins infirmiers communautaires à l’ÉSII.
Reproduit avec l’autorisation de FMHS Focus.