La stratégie actuelle de dépistage annuel en Amérique du Nord serait coûteuse et inefficace

Par Julie Robert, CUSM

La tuberculose (TB) constitue un risque reconnu pour les travailleurs de la santé, mais la stratégie de dépistage annuel actuellement en vigueur au Canada et aux États-Unis est coûteuse et comporte des avantages très limités; cette stratégie devrait être repensée, selon une nouvelle étude, dirigée par une équipe de l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM). Les résultats de cette étude, publiés dans la revue BMC Medicine, suggèrent que les organismes de santé en Amérique du Nord devraient considérer passer à une stratégie ciblant uniquement les travailleurs de la santé qui présentent un risque élevé de contracter la maladie

“Le processus à travers lequel nous sommes passés pour obtenir et publier nos résultats a été exigeant par moments, mais certainement gratifiant. C’est super de constater que notre travail a réussi à contribuer à la littérature sur le sujet » dit Guillaume Mullie (à droite), premier auteur de la publication et étudiant en quatrième année de médecine à l’Université McGill. « Le soutien du Dr Schwartzman (à gauche), directeur de la Division des maladies respiratoires du CUSM et professeur de médecine à l’Université McGill, et de son équipe a définitivement joué un rôle considérable dans ma motivation à atteindre les buts que l’on s’était fixés. J’espère que nos découvertes aideront à informer et à améliorer les prises de décision par rapport aux pratiques de dépistage de la tuberculose chez les travailleurs de la santé. »

« L’incidence* de la TB dans les collectivités nord-américaines est beaucoup plus faible de nos jours qu’elle ne l’était il y a 25 ans, période au cours de laquelle il y avait des épidémies de TB dans les villes réparties dans l’ensemble des États-Unis. En conséquence, le risque que des travailleurs de la santé soient exposés à la TB et soient infectés est aussi beaucoup plus faible, explique l’auteur principal de l’étude, le Dr Kevin Schwartzman, directeur de la Division des maladies respiratoires du CUSM et professeur de médecine à l’Université McGill. Les résultats de notre étude suggèrent qu’il faudrait revoir le protocole de dépistage annuel de la TB, afin qu’il reflète davantage l’épidémiologie de la TB en Amérique du Nord et, possiblement, dans d’autres pays à revenu élevé, comme les pays d’Amérique du Nord et de l’Europe septentrionale. »

Les chercheurs ont utilisé des données déjà publiées à partir desquelles ils ont fait  une simulation sur une cohorte de 1 000 travailleurs ayant tous reçu des résultats négatifs au test de base effectué à l’embauche – prenant en considération leurs tâches professionnelles, l’exposition à la TB, les tests et le traitement. Ils ont comparé le rapport coût-efficacité de trois stratégies de dépistage différentes : le dépistage annuel (dépistage pour l’ensemble des travailleurs qui sont en contact avec les patients), le dépistage ciblé (dépistage régulier visant seulement les travailleurs à haut risque d’exposition) et le dépistage post-exposition (dépistage n’étant effectué qu’après l’identification d’une exposition). Les chercheurs ont pris en considération deux tests pour diagnostiquer l’infection tuberculeuse : le test cutané à la tuberculine (TCT) ainsi que le test QuantiFERON-TB-Gold In-Tube (QFT), plus récent. Les résultats de l’étude montrent que le test QFT s’est avéré plus coûteux que le TCT, ne présentant peu ou pas d’avantages additionnels.

« Nous avons fait des projections de coûts, de morbidité, de survie pondérée par la qualité et de mortalité sur une période de 20 ans après l’embauche. L’une des conclusions les plus frappantes a été de constater que la stratégie de dépistage annuel actuelle coûte plus de 1,7 million de dollars pour ne prévenir qu’un cas additionnel de TB active chez les travailleurs de la santé, en comparaison à une stratégie de dépistage plus ciblée qui, elle, coûterait un peu plus de 400 000 $ par cas de TB active prévenu, en comparaison au protocole de dépistage post-exposition, explique le premier auteur de l’étude, Guillaume Mullie, étudiant en quatrième année de médecine à l’Université McGill. « Les coûts des pratiques courantes sont significatifs pour le système de la santé, et il pourrait s’avérer judicieux de reconsidérer les recommandations existantes. »

« Si l’on teste à répétition des travailleurs de la santé qui ne sont pas vraiment exposés à la TB, l’on va obtenir des résultats faux positifs, car les tests ne sont jamais parfaits. Aussi, plus le risque d’exposition réelle à la TB est faible, plus il est probable que le test se révélant positif soit un faux positif; autrement dit, il est probable que ce test n’ait aucun lien avec une exposition réelle ou avec une infection », poursuit le Dr Schwartzman, qui est aussi chercheur du Centre international de TB de McGill – qui regroupe des scientifiques du monde entier travaillant conjointement pour lutter contre la tuberculose.

Selon les chercheurs, les travailleurs de la santé ne devraient pas être invités systématiquement chaque année à se faire tester uniquement parce que le protocole le prévoit. Plutôt, seuls les travailleurs qui présentent un risque particulièrement élevé, par exemple, les inhalothérapeutes procédant à des bronchoscopies ou le personnel de laboratoire de microbiologie, devraient encore être testés régulièrement, indépendamment de leur exposition à la TB. Les autres travailleurs ne devraient être évalués qu’après avoir été exposés à un patient contagieux.

Attribuable à la bactérie Mycobacterium tuberculosis, la TB est encore l’une des principales causes de morbidité et de mortalité à l’échelle mondiale. Dans sa phase active, elle se transmet par des gouttelettes lorsque le patient tousse ou éternue. Après le premier contact d’une personne avec le microbe, la maladie peut se développer rapidement ou demeurer latente pendant plusieurs années avant d’entrer dans sa phase active. Le dépistage systématique et le traitement de l’infection tuberculeuse latente constituent des volets importants de la stratégie de prévention de la TB dans les établissements de soins de santé du Canada et des États-Unis; toutefois, des données récentes ont remis en question le rapport coût-efficacité de cette stratégie.

« Les ressources actuellement affectées au dépistage systématique de la TB chez les travailleurs de la santé en Amérique du Nord pourraient plutôt être utilisées à d’autres fins, comme accroître la prévention et offrir une infrastructure permettant de tester et de soutenir les communautés qui présentent un risque plus élevé de développer la TB, comme les sans-abris, les personnes nées à l’étranger et les populations autochtones », conclut le Dr Schwartzman.

* Incidence de la tuberculose (pour 100 000 personnes) : 4,6 nouveaux cas de tuberculose active par an au Canada contre 3,0 nouveaux cas par an aux États-Unis.

 


 

Couverture sur le sujet
Montreal Gazette (en anglais)

Le 31 juillet 2017