Par Sol Inés Peca Dans les années 1980, le docteur Albert Aguayo et ses collègues du Centre de recherche en neuroscience de McGill ont été les premiers à démontrer que les fibres nerveuses blessées pouvaient se régénérer et se rebrancher au système nerveux central de mammifères adultes. Depuis, le docteur Aguyao est devenu un chef de file de la recherche et de l’enseignement en régénération neuronale. La semaine dernière, il a été introduit au Temple de la renommée médicale canadienne dans la catégorie Excellence sur la recherche en santé.
C’était le milieu des années 1950 et le jeune Albert Aguyo songeait à s’inscrire à l’université en Argentine, son pays natal. L’architecture l’avait toujours attiré; par conséquent, cela lui apparaissait comme un choix de carrière naturel. Deux semaines avant la date limite d’inscription, il a plutôt choisi la médecine.
« Encore aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi j’ai décidé cela, mais je suis très heureux de l’avoir fait, car il y a de la beauté en biologie aussi! », déclare Albert Aguyo. Cette décision inexpliquée de dernière minute l’a conduit à presque 50 ans d’exploration de l’architecture du système nerveux. Son périple fait une fois de plus l’objet d’une reconnaissance : cette année, il est devenu le plus récent d’une cohorte de très éminents lauréats introduits au Temple de la renommée médicale canadienne.
« Le cerveau est un organe fascinant, sans doute le plus complexe entre tous », affirme-t-il. « Ses composantes cachent les secrets de ce que nous sommes en tant qu’êtres humains. » Quand le docteur Aguyo parle du cerveau, son sens de l’émerveillement est encore frais et sa stimulation, palpable. « Pensez un instant à ce à quoi ressemble le cerveau », ajoute-t-il. « Des milliards de minuscules cellules qui traitent l’information dont nous avons besoin pour vivre, réfléchir et agir. »
Après avoir obtenu son diplôme en médecine de l’Université nationale de Córdoba, en Argentine, Albert Aguyo a poursuivi sa formation en neurologie aux universités de Toronto et McGill. « Comme d’autres de ma génération, j’ai été formé en tant que « médecin scientifique », explique-t-il. « On pensait que les docteurs en médecine engagés dans les soins aux patients et en enseignement devaient participer à la révolution des connaissances qui s’intensifiait en biologie pendant la deuxième moitié du XXe siècle. »
Dans les années 1960, le docteur Donald W. Baxter était un ardent défenseur de cet effort d’intégration de la découverte scientifique dans les neurosciences cliniques à McGill. Il a recruté Albert Aguyo qui, outre sa formation en neurologie, souhaitait poursuivre une carrière en recherche fondamentale.
« La vision du docteur Baxter, et celles d’autres médecins du Canada et de l’étranger, a aidé à créer les conditions qui prévalent au sein de cette université et du reste du pays », se souvient Albert Aguyo. « Ces conditions ont offert les incitatifs et le soutien nécessaires à un engagement équilibré et efficace à ceux d’entre nous qui ont choisi cette voie », ajoute-t-il. « C’était une période très stimulante! »
Quelques années après sa nomination, en 1967, au poste de professeur adjoint au Département de neurologie et de neurochirurgie de McGill, Albert Aguyo est devenu le directeur fondateur du Centre de recherche en neuroscience de l’Université McGill, une fonction qu’il a occupée pendant 15 ans en accomplissant de grandes réalisations. Engagé à l’échelle nationale et internationale dans la recherche et l’enseignement, il a été élu, en 1987, président de la Société pour la neuroscience, établie à Washington, et, depuis, a joué un rôle au sein de nombre d’organismes canadiens et étrangers.
Plus récemment, il a contribué à l’implantation de nouvelles politiques en neuroscience à l’échelle mondiale à titre de secrétaire général, puis de président de l’Organisation internationale de recherche sur le cerveau (IBRO), une association de l’UNESCO qui compte plus de 50 000 membres dans 84 pays.
À la fin des années 1970, après avoir consacré de nombreuses années à l’étude des affections du système nerveux périphérique au Canada et au Royaume-Uni, il a décidé, avec d’autres jeunes chercheurs mcgillois de l’Hôpital général de Montréal, de mettre au défi les notions scientifiques fondamentales de l’époque voulant que les neurones ne pouvaient se régénérer après une blessure au cerveau ou à la moelle épinière.
Au début, certaines des techniques utilisées pour la recherche sur des animaux de laboratoire étaient celles qu’ils avaient apprises et mises en pratique en milieu clinique pour diagnostiquer les maladies neurologiques humaines (notamment, la microscopie et l’électrophysiologie). Par la suite, de nouveaux outils et l’arrivée de stagiaires et de techniciens compétents et dévoués ont intensifié la lancée en recherche. « Quel groupe magnifique! », se rappelle Albert Aguyo.
Il explique à quel point les cellules nerveuses sont uniques en faisant appel à des images créatives. « Elles sont formées d’un petit corps auquel sont souvent attachés de longs bras qui rejoignent les autres cellules situées beaucoup plus loin. À l’extrémité de ces bras se trouve une main qui fait tout le travail. Les bras sont les axones et les mains, les synapses. La musique de la cellule est programmée à même son corps et se diffuse là, dans la synapse. »
« La circuiterie complexe résultant d’une telle multitude d’interconnexions de cellules nerveuses est reliée au tout début du développement, lorsque l’organisme est très petit. Toutefois, à mesure que l’organisme croît, de nombreux axones doivent s’étendre considérablement, puisque les cellules se distancent les unes des autres. Certains axones peuvent faire la moitié de la grandeur de votre corps! »
Habituellement, lors de blessures résultant d’une chute ou d’un accident de voiture, les axones peuvent être sectionnés et les cellules ne peuvent plus communiquer les unes avec les autres. « La réparation nécessite une nouvelle croissance axonale et une reconnexion suffisamment adéquate pour restaurer la totalité de la fonction », poursuit Albert Aguyo.
« Dans les années 1980, nous avons réussi à prouver que les cellules nerveuses blessées du système nerveux central adulte conservaient la capacité de croître à nouveau sur de longues distances et de former de nouvelles connexions. Aujourd’hui, les travaux réalisés dans nombre de laboratoires ont considérablement fait avancer notre compréhension des mécanismes cellulaires qui inhibent ou facilitent la régénération des axones », déclare-t-il. « Il reste fort à faire, toutefois, pour recréer les circuits neuronaux nécessaires à la restauration des fonctions complexes. Nous devons progresser dans ces recherches pour que ces découvertes puissent être mises en application en milieu clinique ».
Le docteur Aguyo voit des occasions d’avenir dans ce domaine. « De grands défis ont déjà été relevés dans le traitement médical et chirurgical des blessures à la moelle épinière et au cerveau. En effet, il y a 50 à 60 ans, aucune personne ayant subi une blessure grave à la moelle épinière n’avait survécu très longtemps », précise-t-il. De nos jours, des millions de ces patients peuvent mener une vie heureuse, utile et parfois exemplaire.
« Au Canada, Rick Hanson est un formidable exemple et un modèle de rôle inspirant pour nous tous! Cela montre que la recherche fondamentale peut maintenant se pencher sur les mécanismes biologiques qui interviennent dans les blessures et les réparations neuronales, dans l’espoir de restaurer la fonction neuronale », ajoute-t-il.
À mesure que le docteur Aguyo explique les enjeux de la neuroscience qu’il en est venu à si bien connaître et qui continuent de dissimuler tant de mystères à élucider, l’importance qu’il accorde depuis longtemps à l’accès aux connaissances devient plus évidente. Le docteur Aguyo est non seulement un chercheur et un clinicien; il est aussi un enseignant et un fervent promoteur de l’enseignement scientifique international. En fait, il admet qu’il a passé certaines des plus belles années de sa vie professionnelle en travaillant avec l’IBRO sur ses programmes de formation internationaux. « Ces programmes aident à créer de nouveaux liens entre les scientifiques! », ajoute-t-il.
Par l’intermédiaire de son engagement, il a contribué à promouvoir les neurosciences dans des pays où peu de ressources sont offertes à la recherche biomédicale. « C’est très inspirant d’être témoin des efforts consacrés à l’échelle planétaire pour acquérir et appliquer les connaissances pour résoudre certains des grands problèmes de santé auxquels les populations sont confrontées », affirme Albert Aguyo.
Il y a six ans, avec le soutien de l’IBRO, des chercheurs canadiens ont créé l’École internationale de neuroscience IBRO du Canada, où le docteur Aguyo et d’autres chercheurs ont été activement engagés dans la formation de jeunes étudiants chercheurs prometteurs provenant d’Afrique, d’Amérique latine et de la côte asiatique du Pacifique. La prochaine session aura lieu à la fin de mai, à Montréal et Québec, simultanément avec l’assemblée annuelle de l’Association canadienne des neurosciences, ce qui permettra aux stagiaires de faire la connaissance de nombreux collègues du Canada. La majeure partie de leur séjour à l’École sera consacrée à des laboratoires et des conférences aux universités McGill et Laval.
« J’éprouve beaucoup de plaisir à m’engager dans cette sorte d’enseignement international à ce stade de ma vie », déclare le docteur Aguayo. « La science a ceci de merveilleux qu’elle apporte des émotions uniques », explique-t-il. Habitué à savourer les moments où se réalisent des percées, il est inspiré par le partage des merveilles de la science par le renforcement de la communication, de la collaboration et du mentorat. « Quand on découvre du nouveau, même s’il s’agit de quelque chose d’infime, on connaît quelque chose que personne d’autre au monde ne connaît, l’espace d’un moment ou deux. »