Par Sol Inés Peca

Il y a 100 ans, alors titulaire de la chaire Regius de médecine à l’Université Oxford, Sir William Osler a commencé à s’intéresser à l’acquisition de manuscrits médicaux arabes pour enrichir sa bibliothèque. Aujourd’hui, l’un des manuscrits provenant de cette collection, maintenant hébergée à la bibliothèque de médecine de l’Université McGill qui porte son nom, fera l’objet, au cours des quelques prochaines années, d’une analyse par un groupe d’érudits interdisciplinaires étrangers.


Deux variétés de Kabikaj, connue en grec comme Batrakhion et en latin comme Ranunculus, c.-à-d. « petite grenouille ».

Pendant près de 20 ans, Alain Touwaide a étudié un manuscrit arabe rare par l’intermédiaire d’une reproduction noir et blanc sur microfilm. Conservé à la bibliothèque Osler d’histoire de la médecine de l’Université McGill, le manuscrit s’était ajouté à la collection de livres donnés à McGill en 1929 par Sir William Osler, en remerciement à la Faculté pour son soutien pendant qu’il était étudiant et jeune professeur. L’existence du document ancien avait été portée à l’attention d’Alain Touwaide, directeur scientifique de l’Institut de préservation des traditions médicales du Département de botanique de l’Institut Smithsonian, et piqua sa curiosité. La copie du microfilm lui parvint par la poste et devint une composante de plus de son importante base de données sur la botanique médicale.

« La recherche doit nous faire comprendre comment ces textes étaient utilisés par les praticiens dans leurs activités quotidiennes de médecine », a déclaré monsieur Touwaide, qui a récemment eu l’occasion de visiter McGill et de voir pour la première fois le manuscrit dans toute sa splendeur et en couleur.

Le document, provenant de l’un des plus grands botanistes et pharmacologistes de la période islamique, le médecin et érudit andalou du XIIe siècle Abu Ja`far al-Ghafiqi, a été exposé à la bibliothèque Osler, où les érudits et chercheurs étrangers d’aujourd’hui qui entreprendront le projet Ghafiqi s’étaient réunis.

À la bibliothèque Osler de McGill, Alain Touwaide, directeur scientifique de l’Institut de préservation des traditions médicales (Institut Smithsonian) regarde l'herbier d'al-Ghafiqi pour la première fois, après l'avoir étudié pendant près de 20 ans par l’intermédiaire d’une reproduction noir et blanc sur microfilm. Photo: P. Fournier

« Ses richesses demeurent protégées hermétiquement et scellées, jusqu’à ce que votre expertise les révèle », a déclaré le docteur Abraham Fuks, professeur de médecine à McGill, en s’adressant au groupe et en lançant officiellement l’étude du manuscrit et une série d’ateliers et de conférences.

Grâce à un don anonyme à la mémoire du vendeur et collectionneur montréalais de livres rares John Mappin, l’Institut d’études islamiques de McGill et la bibliothèque Osler se sont unis pour coordonner ce projet, qui s’étendra sur les quelques prochaines années. « J’étais abasourdi et étonné que ce manuscrit m’en apprenne autant », a déclaré Jamil Ragep, directeur de l’Institut. « L’objectif est de numériser et cataloguer le manuscrit pour ensuite en révéler le contenu. »

Sans aucun doute, ce projet représente un exercice multidisciplinaire. Il vise à susciter des travaux de recherche ultérieurs, qui culmineront par la publication éventuelle d’un ouvrage en trois volumes, soit une reproduction du manuscrit, une traduction et des commentaires d’érudits. Les bénéfices pourraient dépasser largement les connaissances sociales, historiques et médicinales que le manuscrit révélera. Shigehisa Kuriyama, professeur en histoire de la médecine à l’Université Harvard, a fait remarquer comment ce projet pourrait influencer la manière dont les renseignements sont partagés et compris. « Cela servira de modèle pour améliorer l’utilité du matériel d’archives, pour le rendre accessible partout sur la planète. »

Professeure en histoire de l’art à l'Université de l’État de New York, Jaclynne J. Kerner, examine les attributs artistiques des illustrations. Photo : P. Fournier

Messieurs Kuriyama et Touwaide font partie des neuf érudits en philologie, histoire de l’art, pharmacologie, ethnopharmacologie, littérature et histoire de la médecine qui ont participé aux ateliers et qui apporteront un nouvel éclairage sur le manuscrit ancien et s’en inspireront pour forger de nouvelles questions.

« Le travail sur certains des enjeux fondamentaux, notamment les composantes des pigments de la peinture, peut commencer dès maintenant », a précisé Pamela Miller, bibliothécaire en histoire de la médecine à la bibliothèque Osler. Le document comprend 367 illustrations couleur et du texte calligraphié en arabe. Selon madame Miller, les études plus approfondies des 475 entrées sont ce qui prendra le plus de temps, y compris une comparaison en profondeur avec les Discorides arabes d’Oxford qu’Osler considérait comme le premier volume de cet ouvrage.

Une page de l'herbier d'al-Ghafiqi illustrant une des centaines des plantes utilisées par les pharmacologues médiévaux pour traiter leurs patients. Photo : P. Fournier

Après s’être familiarisé avec le manuscrit de si loin, monsieur Touwaide accueille ce défi avec enthousiasme. « Le fait de pouvoir retracer les couches de création et d’identifier les éventuelles composantes et associations d’images sera une expérience très stimulante. »

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Le groupe d’érudits est composé de :
Leigh ChipmanÉtudes moyen-orientales,Université hébraïque
Abraham FuksProfesseur de médecine,Université McGill
Adam GacekInstitut d’études islamiques, Université McGill
Mais KatayaPharmacien et historien, Université d’Aleppo, Syrie
Jaclynn KernerProfesseure adjointe en histoire de l’art, Université de l’État de New York
Oliver KhalChercheur privé, associé à l’Université de Manchester
Hisa KuriuyamaProfesseur d’histoire de la médecine, Université Harvard
Efraim LevHistorien de la médecine et ethnopharmacologiste, Université de Haïfa
Jamil RagepDirecteur de l’Institut d’études islamiques, Université McGill
Alain Touwaide Directeur scientifique de l’Institut pour la préservation des traditions médicales, Institut Smithsonian
Raphaela Veit Environnement de recherche numérique Averroes, Université de Cologne
Faith WallisHistoire de la médecine, Université McGill
Cliquez ici pour plus de renseignements sur le projet Ghafiqi.


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