Le texte qui suit est la traduction d’une lettre d’opinion publiée le mardi 3 décembre dans le quotidien Montreal Gazette par le professeur Chen Liang, du Département de médecine de l’Université McGill, directeur intérimaire du Centre SIDA McGill à l’Institut Lady Davis.

Les années 1980 et 1990 ont été les plus sombres de l’épidémie de VIH/sida. Les symptômes terribles de la maladie, son issue fatale et l’absence de traitement efficace semaient la peur au sein de la population. C’est pour faire front uni contre cette maladie mortelle qu’est née la Journée mondiale de lutte contre le sida, en 1988, première journée du genre en santé mondiale.

Cette journée, dont l’édition 2019 a eu lieu dimanche dernier, n’attire plus autant l’attention qu’il y a 30 ans. De nos jours, le VIH a perdu en importance dans la conscience collective. Pourtant, l’épidémie sévit toujours, avec près de 2 millions de nouvelles infections chaque année. Heureusement, malgré cette propagation constante, la mortalité due à la maladie est en déclin grâce aux antirétroviraux, des médicaments qui battent le VIH en retraite tant que la personne infectée continue à les prendre.

En unissant nos forces et en tirant pleinement parti de ces puissants traitements, nous pouvons mettre un terme une fois pour toutes à l’épidémie.

Puisque les antirétroviraux abaissent la charge virale du VIH sous le seuil de détection, si toutes les personnes séropositives étaient traitées, il n’y aurait plus de nouvelles infections. L’épidémie serait enfin vaincue.

Partant de ce principe, le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA) a établi la cible « 90-90-90 », qui veut qu’à l’horizon 2020, 90 % des personnes vivant avec le VIH soient diagnostiquées, 90 % des personnes infectées par le VIH soient traitées, et 90 % des personnes traitées aient une charge virale supprimée. On prédit désormais qu’en atteignant une nouvelle cible de « 95-95-95 » d’ici 2030, on pourra mettre fin à l’épidémie simplement en éliminant les nouvelles transmissions.

L’échéance de 2020 est désormais à nos portes. Avons-nous atteint la cible de l’ONUSIDA? Pas tout à fait. En 2018, mondialement, nous en étions à 79-78-86. Les progrès sont donc prometteurs, mais le combat n’est pas terminé. Les disparités régionales, surtout, sont inquiétantes : certains pays et territoires touchent à la cible de 90 %, tandis que d’autres demeurent sous la barre des 50 %. L’épidémie de VIH est mondiale – on ne pourra l’éradiquer que si toutes les régions et tous les groupes sont de la partie.

Sur quoi doit-on se concentrer à présent? Dans cette stratégie d’éradication, le goulot d’étranglement demeure le dépistage dans les populations à risque. Sans diagnostic, pas de traitement. Heureusement, les ressources de dépistage sont de plus en plus accessibles, sous la forme de tests à faire soi-même à la maison. La Dre Nitika Pant Pai, professeure à l’Université McGill, a même développé une application d’autodépistage pour téléphone intelligent appelée HIVSmart.

Un diagnostic précoce ouvre la porte à un traitement précoce, et la recherche prouve qu’un traitement antirétroviral administré dès les premières semaines de l’infection au VIH peut minimiser les dommages au système immunitaire tout en réduisant l’effet délétère du virus sur d’autres organes et systèmes, notamment le cerveau. On recommande donc de dépister le VIH immédiatement après une exposition potentielle, comme l’injection de drogue ou une relation sexuelle non protégée. C’est en sachant à quoi s’en tenir qu’on peut agir.

Évidemment, d’autres mesures sont nécessaires pour atteindre les cibles d’ONUSIDA. D’abord, il faut aider les pays et territoires aux ressources limitées à établir des programmes efficaces et abordables de dépistage et de traitement du VIH. Les gouvernements doivent continuer d’investir dans cette initiative mondiale. Il faut aussi abolir les lois qui criminalisent les personnes séropositives, parce qu’au lieu de protéger les gens, ces lois découragent le dépistage volontaire, ce qui accélère la propagation du virus. Les compagnies pharmaceutiques, pour leur part, doivent rendre leurs meilleurs médicaments antiVIH accessibles à ceux qui n’en ont pas les moyens. Enfin, nous devons poursuivre nos recherches pour découvrir des médicaments encore plus efficaces, de nouvelles stratégies d’éradication et des vaccins contre le VIH.

Si nous nous lançons dans ce chantier collectif, nous pouvons espérer éradiquer le VIH partout sur la planète dans un avenir pas si lointain, comme nous l’avons fait avec la variole. Au lieu de souligner la Journée mondiale de lutte contre le sida, nous pourrons alors célébrer un autre grand miracle réalisé par l’humanité.

Le professeur Chen Liang, du Département de médecine de l’Université McGill, est directeur intérimaire du Centre SIDA McGill de l’Institut Lady Davis.

Le 6 décembre 2019