Par Sol Inés Peca
Les journées de Loydie Jerome-Majewska sont remplies de tentatives pour atteindre le juste milieu, l’équilibre entre la rédaction de demandes de subventions et d’articles, la gestion d’un laboratoire de recherche et la vie personnelle, et élever des enfants en santé et heureux. Au moment où le mois de février, le Mois de l’histoire des Noirs, tire à sa fin, malgré son horaire particulièrement occupé, elle prend le temps de partager ses souvenirs avec ses deux jeunes garçons. « Pendant le Mois de l’histoire des Noirs, je prends effectivement le temps de parler à mes fils de mon pays d’origine et de la lutte que les gens de couleur ont dû mener pour en arriver là où ils sont », ajoute Loydie Jerome-Majewska, qui est née en Haïti et mariée à notre collègue chercheur à McGill, Jacek Majewski, qui est originaire de Pologne.
Loydie Jerome-Majewska est professeure adjointe au Département de pédiatrie et membre associée au Département de génétique humaine de McGill. Ses intérêts professionnels portent sur les premiers stades du développement humain, plus particulièrement sur la recherche de mécanismes qui régulent la formation des organes pendant la période fœtale. Lorsqu’elle regarde dans un microscope, les cellules qu’elle voit sont exemptes de couleur ou de race. Ce sont des cellules dont tous les humains ont besoin avant de pouvoir naître, souvent dans une société qui est encore entachée par la discrimination raciale. Madame Jerome-Majewska espère qu’un jour cette réalité changera, et que la douleur de faire l’objet de préjugés sera épargnée à ses petits-enfants.
« J’étais surprise de constater que mes enfants ne sont pas les seuls à se faire agacer en raison de leur couleur », dit-elle. « Je suis aussi surprise de la quantité de cas de profilage racial dont on entend parler aux nouvelles, même si la situation s’est bien améliorée comparativement à ce qu’a vécu la génération de mes parents », ajoute-t-elle.
À l’âge de 10 ans, Loydie a quitté sa ville natale, Port-au-Prince, avec sa famille, pour déménager à New York où, pendant ses études secondaires, elle a nourri un intérêt pour les sciences de la santé. Elle a ensuite pris goût à la découverte scientifique lorsqu’elle était bénévole à la salle d’urgence de l’Hôpital Queens et interne au laboratoire de microbiologie de l’Hôpital Bellevue.
« C’est dans le laboratoire de Laura Grebel, à l’Université Wesleyan à Connecticut, que mes intérêts pour la biologie du développement sont nés », se rappelle madame Jerome-Majewska. C’est aussi là qu’elle a rencontré son futur mari, dans un cours de biologie de l’évolution. Après leur mariage, elle a fait un doctorat en études cellulaires, moléculaires et biophysiques de l’Université Colombia.
À Colombia, ses travaux sur le syndrome de DiGeorge, la deuxième cause la plus courante de malformation cardiaque congénitale après le syndrome de Down, furent édifiants. « Le fait de recevoir un doctorat de la part d’un département de la Faculté de médecine vous force à réfléchir à l’impact que votre recherche peut avoir sur les patients humains », précise-t-elle.
Depuis, elle a continué d’étudier les origines des désordres génétiques. Elle a intégré McGill en 2005 et a eu l’occasion de travailler avec son mari, avec qui elle a réalisé une percée génétique triomphante l’année dernière.
« C’était une expérience amusante et valorisante », dit-elle en parlant de l’identification du gène responsable du syndrome de Van Den Ende-Gupta, une maladie malformative récessive autosomique. « Dans ce cas, mon expertise en biologie du développement et celle de Jacek en génomique et en bio-informatique nous ont permis de bien travailler ensemble et d’identifier le gène responsable. »
De l’espace pour grandir
Madame Jerome-Majewska n’est pas retournée en Haïti depuis qu’elle a quitté le pays lorsqu’elle était enfant. « Après le tremblement de terre de janvier 2010, je voulais retourner et aider », dit-elle. « Toutefois, parce que je ne suis pas docteure en médecine, j’estimais que je n’allais pas être d’une bien grande utilité. » Ses espoirs pour son pays natal reposent sur les gens et leur pays. « Si les Haïtiens trouvent une façon de se gouverner eux-mêmes, de mettre un terme à la déforestation et d’en renverser le processus, je pense qu’ils progresseront dans la bonne direction », dit-elle.
Entretemps, madame Jerome-Majewska continue de se battre pour l’équilibre à Montréal, tout en cherchant à approfondir sa compréhension de la biologie du développement. « J’espère que nos travaux conduiront à des découvertes de pointe sur le développement fœtal et les maladies humaines », précise-t-elle. « Plus important, j’espère continuer d’être stimulée par mes travaux et à partager ma passion pour les sciences avec la prochaine génération. »
Le sujet de la diversité est un lent processus, d’après madame Jérome-Majewska. « Ce serait agréable de voir plus de minorités visibles lorsque je participe à des réunions », signale madame Jerome-Majewska, « mais je pense que nous allons dans la bonne direction ». Elle espère qu’un moment de commémoration comme le Mois de l’histoire des Noirs devienne une occasion pour les gens de réfléchir sur la progression de la société en termes d’égalité raciale, et sur l’ampleur de la tâche à accomplir pour atteindre le bon équilibre.