3- Centre Jeunesse et Rapid Lake
J’ai passé une journée en compagnie de quelques travailleurs sociaux du Centre Jeunesse de l’Outaouais (bureau de Maniwaki), qui est considéré comme les Services de protection des enfants (SPE) de la région de l’Outaouais. Leur mandat est de voir à l’application de la Loi sur la protection de la jeunesse du Code civil du Québec. Ils s’occupent donc d’enfants soit abandonnés, soit victimes de violence physique ou sexuelle.
À la différence d’agences de SPE de grandes villes comme Montréal, le bureau de Maniwaki est responsable d’un vaste territoire. Une autre particularité de ce bureau est son expertise en matière de Premières Nations. Selon le directeur du centre, il y a eu amélioration des résultats dès le développement d’une expertise à l’endroit des Autochtones : les travailleurs sociaux ont appris à être plus sensibles à la culture (par exemple, être au courant des pensionnats autochtones, des différences culturelles, etc.),
Une partie du travail de ces travailleurs sociaux est de faire le suivi du progrès des parents à qui on a retiré la garde d’enfants. Ils doivent donc les rencontrer régulièrement. En fait, certains de leurs clients vivent à Rapid Lake. J’ai accompagné trois travailleurs sociaux du Centre Jeunesse qui se rendaient à Rapid Lake, une réserve algonquine.
En général, plus une communauté des Premières Nations est située au nord, plus ses membres sont isolés et pire sont leurs conditions de vie. Rapid Lake n’est cependant pas si isolée. La réserve est près de la 117, entre Val-d’Or et Mont-Laurier. Une fois rendus, il a fallu faire encore six km sur un chemin de terre avant d’arriver au cœur de Rapid Lake, une très petite communauté qui compte 660 membres d’une bande, et d’après ce qu’on m’a dit, 300 personnes y vivent. On y trouve un magasin général où les produits frais coûtent beaucoup plus cher que la malbouffe, un poste de police qui ressemble à une cabane (apparemment, des gens ont tenté d’y mettre le feu), une école primaire (il n’y a pas d’enseignement secondaire ici) et un poste de soins infirmiers.
J’ai vraiment été dépaysé. Plusieurs choses étaient tout simplement déconcertantes :
– Aucune route n’est revêtue. Tous les chemins dans la communauté sont en terre.
– Les maisons sont mal entretenues. Il manque des planches aux murs et les toits sont souvent vieux. On m’a dit que de nombreuses habitations sont infestées de moisissure à l’intérieur, et que le surpeuplement est un problème.
– Les quelques personnes que nous avons vues étaient vêtues pauvrement : des vêtements sales et très vieux.
– L’église n’est pas précisément en bon état. En fait, je n’ai jamais vu une communauté au Québec où l’église n’est pas belle à l’extérieur.
– On peut voir des déchets partout.
– Les chiens sont omniprésents, affamés et en quête de nourriture.
Bref, tout l’endroit ressemble à un vrai capharnaüm. Malheureusement, c’est la dure réalité de nombreuses communautés autochtones au Canada.
Sans perdre de temps, deux travailleurs sociaux sont allés à la rencontre de leurs clients chez eux, tandis que je restais avec M, le troisième travailleur social, au poste de soins infirmiers, où j’ai pu jeter un coup d’œil et rencontrer les quatre membres du personnel infirmier qui ne sont pas de la communauté. Lorsque je leur ai dit que j’étudiais en médecine, leurs yeux ont brillé de l’espoir de me voir rester sur place pour les aider. Vu le manque évident d’effectif, du renfort serait sûrement bienvenu.
Peu après, un couple est entré à la clinique pour voir M. Ce sont de ses clients. Ils ont un enfant dont on leur a retiré la garde pour un an et qui a été placé à KZ.
En résumé, lorsque le SPE retire la garde d’enfants à leurs parents, on les place en famille d’accueil pour une durée qui peut varier de six mois à deux ans, selon l’âge de l’enfant. Entre-temps, les parents doivent participer à des programmes, comme de désintoxication et des cours de compétences parentales. Le travailleur social doit donc suivre le progrès des parents.
Dans le cas de ce couple, leur enfant a été amené par le SPE pour un certain temps. Leur rencontre avec M a été très touchante. La mère a pleuré, en raison de la douleur que lui cause l’absence de l’enfant. Le père, qui manque aussi beaucoup la présence de l’enfant, a dit qu’il faisait des progrès quant aux problèmes qu’il devait régler (je reste délibérément vague afin de protéger la confidentialité du client) et qu’il est prêt à reprendre leur enfant.
À KZ, on m’a dit qu’il existe beaucoup de problèmes à Rapid Lake : toxicomanie et alcoolisme, violence familiale, prévalence élevée d’obésité et de diabète, piètres compétences parentales, piètres capacités de lecture et d’écriture, pauvreté endémique, taux de chômage extrême, etc. On ne peut que se demander ce qui a mené à un tel désastre. Si l’on repense à une page sombre de l’histoire du Canada, la vaste majorité des Autochtones ont été emmenés à un jeune âge dans des pensionnats où on leur apprenait à vivre à la manière occidentale, à oublier et à mépriser leurs anciennes cultures et identités. Les gens ainsi traumatisés lorsqu’ils étaient jeunes sont devenus des adultes mal préparés à la vie quotidienne. Malheureusement, ce cycle infernal se répète et mine le bien-être de nombreuses communautés autochtones jusqu’à ce jour (1).
Comment remédier à tout cela? Je n’en suis pas certain. Il s’agit d’un problème complexe qui dépasse ma compréhension. Une partie de la solution serait de mettre en œuvre des interventions sur un plan systémique liées aux déterminants sociaux de la santé, dont les traditions culturelles, la sécurité économique, la sécurité alimentaire et la situation du logement. Ce n’est qu’alors qu’on progressera de manière durable (2).
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25534432
J’espère vraiment que les communautés autochtones comme celle de Rapid Lake connaîtront des jours meilleurs. Quant à moi, ce voyage m’a rappelé que des conditions de vie dignes du Tiers-Monde existent au Canada.
Références
1- Bombay A, Matheson K, Anisman H. The intergenerational effects of Indian Residential Schools: implications for the concept of historical trauma. Transcult Psychiatry. 2014 Jun;51(3):320-38.
2- Naidu A, Macdonald ME, Carnevale FA, Nottaway W, Thivierge C, Vignola S. Exploring oral health and hygiene practices in the Algonquin community of Rapid Lake, Quebec. Rural Remote Health. 2014;14(4):2975.
Bonjour! Je suis Bill Huang et je viens de terminer ma première année en médecine à l’Université McGill.
Ce blogue relatera mon expérience à Kitigan Zibi, une réserve algonquine, durant le mois de juillet. Je m’y trouve pour un internat organisé par le Dr Kent Saylor et Yves Sioui, appelé Internat préclinique au sein de communautés des Premières Nations/Inuit. Ainsi, mon internat sera bien davantage qu’un simple stage clinique et me permettra de découvrir la culture des Algonquins, un peu de leur histoire et les difficultés auxquelles ils sont confrontés.