Par Marlene Busko

Pour apprendre un nouveau mot, un enfant atteint d’autisme doit se fier à des stratégies telles que de faire correspondre le mot avec un objet saillant ou de se rappeler du son du mot, plutôt que d’utiliser des repères sociaux comme la direction du regard de l’interlocuteur. « Ces stratégies sont-elles les mêmes que celles que l’on voit chez des enfants qui se développent normalement, ou sont-elles des stratégies alternatives pour arriver au même but ? » demande Aparna Nadig, Ph. D., professeure adjointe à l’école des Sciences de la communication humaine de l’Université McGill. Nadig et son équipe termineront bientôt une étude d’un an, divisée en six parties, qui expliquera la croissance du vocabulaire au fil du temps chez les enfants atteints d’autisme.

Vue de la cabine de contrôle d’un enfant-participant qui répond à la concordance des objets audio et novateurs projetés sur un écran, démontrant ainsi comment il généralise les nouveaux mots. Photo: Marlene Busko

À son bureau du dernier étage de l’édifice patrimonial Beatty Hall, Nadig explique que le nom du laboratoire « POP » représente un acronyme pour « psychologie de la pragmatique » dans lequel « pragmatique » se réfère aux aspects sociaux de la communication.

Un aspect principal de son travail est le retard de langage, une caractéristique commune parmi ceux qui sont atteints d’autisme. Toutefois, ce genre de déficience couvre un large éventail, et certains enfants autistes ont plus de facilité à apprendre de nouveaux mots. Les enfants avec de meilleures compétences précoces en langage sont plus aptes à devenir des adultes indépendants et autonomes.

« Le but principal de cette étude est de déterminer quels mécanismes sous-tendent l’étendue des différences et de tenter d’identifier les stratégies qui sont utilisées par les enfants qui développent et généralisent beaucoup de vocabulaire, » explique Nadig. Une meilleure compréhension de ces processus pourrait aider à guider des thérapies futures dans le développement du langage chez les enfants atteints d’autisme.

Aparna Nadig, dans son bureau à Beatty Hall. L’écran d’ordinateur affiche un enregistrement vocal qui est en train de se faire analyser pour les tendances d’intonation. Photo: Marlene Busko

Selon Nadig, cette étude pourrait avoir des implications cliniques importantes en fournissant des idées de moyens possibles pour aider les enfants atteints de troubles du spectre autistique à communiquer plus efficacement. Par exemple, l’étude pourrait confirmer que des actes subtils posés par les parents lors de la communication avec leur enfant – tels que de suivre le centre d’attention de leur enfant ou d’utiliser plusieurs repères pour désigner un objet – peut aider à faciliter le développement du langage, explique Nadig.

L’étude fournira également des données révolutionnaires provenant d’enfants francophones atteints d’autisme. « À ce jour, toutes les recherches soignées sur les processus du développement du langage en autisme ont été menées en anglais, donc nous allons ajouter considérablement à la littérature en menant une étude parallèle en français québécois, » explique Nadig.

Une étude bilingue

L’étude vise à inscrire 80 enfants à l’étude. Ceci inclut 20 enfants anglophones atteints de troubles du spectre autistique, âgés de deux à six ans lors de l’inscription, et qui sont jumelés, compte tenu des compétences langagières, avec 20 enfants anglophones dont le développement est typique, âgés de 15 mois à deux ans au moment de l’inscription.

Parallèlement, l’inscription à l’étude comprendra deux groupes similaires d’enfants francophones. Le recrutement des enfants anglophones est terminé et plusieurs d’entre eux termineront l’étude ce printemps, alors que l’étude francophone sera avancée.

Les enfants qui se développent normalement ont été recrutés à partir de la base de données de recherche McGill Infant Recruitment Group (MIRG). Les enfants atteints de troubles du spectre autistique ont été recrutés principalement du Programme des troubles envahissants du développement de l’Hôpital de Montréal pour enfants.

Les parents et enfants participant à l’étude font trois visites au laboratoire d’acquisition de langage de McGill, situé au pavillon Stewart des sciences biologiques: une première visite d’une heure et demie, une visite de 30 minutes six mois plus tard, et une troisième visite une année suivant la visite initiale. Au début et à la fin de l’étude, les enfants participent à un test normalisé qui mesure leurs compétences langagières, et les parents remplissent un questionnaire au sujet du vocabulaire de leur enfant, donnant ainsi une idée des progrès de leur enfant au cours de l’année. Les enfants participent également à une gamme de tâches expérimentales, et le jeu impromptu y fait partie.

Émilie Leroux, employée du laboratoire POP et un enfant participant à l’étude Comment j’apprends des mots. Photo: POP lab

Des données préliminaires de trois des six parties de l’étude ont été acceptées pour constituer les affiches de la réunion IMFAR (International Meeting for Autism Research) à San Diego au mois de mai prochain. Une des affiches examine le langage dirigé par les enfants ou le « langage modulé » et sa relation avec des gains plus importants en vocabulaire. Une deuxième affiche, basé sur les interactions parent-enfant lors des périodes de jeu libre, suggère que les enfants atteints de troubles du spectre autistique utilisent moins le jeu « imaginaire » et que leurs parents sont plus aptes à rediriger l’attention de l’enfant. Une troisième affiche suggère que les enfants atteints d’autisme qui ont des compétences langagières plus développées sont capables d’apprendre des mots en suivant des repères sociaux.

La quatrième partie de l’étude examine comment les enfants généralisent des nouveaux mots à d’autres mots dans la même catégorie. Une cinquième partie examine quels repères les parents utilisent naturellement pour identifier des objets pour leurs enfants dans un contexte de jeu. La sixième partie examine comment les propriétés statistiques du langage des parents sont liées au vocabulaire de l’enfant. Suite à l’obtention et à l’analyse des données finales de toutes les parties de l’étude, le groupe soumettra des manuscrits à des revues médicales.

« Une étude de cette nature exige le dévouement continu de tous les membres de mon équipe. Ils ont été primordiaux à sa poursuite, » insiste Nadig. En plus de mener son équipe de recherche, elle enseigne des cours à des étudiants de 2e cycle en pathologie de la parole, incluant un cours traitant des troubles du spectre autistique.

Aparna Nadig et son équipe de recherche. Photo: POP lab

Cette combinaison de recherche et de formation est ce qui a attiré Nadig à McGill, et s’ajoute à sa formation antérieure. Elle a étudié la pragmatique développementale dans la population normale et a obtenu un Ph. D. en sciences cognitives de l’Université Brown, à Providence, à Rhode Island. Par l’entremise de ce travail, elle s’est intéressée à l’autisme, qui a mené à une bourse de recherche postdoctorale intensive à l’Institut UC Davis MIND (University of California, Medical Investigation of Neurodevelopmental Disorders), où elle a étudié avec des psychologues experts dans le domaine. Un aspect de son travail comprenait un projet pour déterminer si l’autisme pouvait se faire détecter à l’âge de 12 mois selon le manque de réaction de l’enfant lorsqu’on dit son nom.

« À ce que je sache, le programme de Sciences de la communication humaine de McGill est l’un des plus poussés en matière de recherche, » dit Nadig, ajoutant que, « à la lumière de mes deux aspects de formation, le programme me convient parfaitement puisque je continue à faire de la recherche fondamentale et j’enseigne à de futurs praticiens. »

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