Par Susan E. French

Elizabeth Calhoun Logan, ancienne directrice de l’École des sciences infirmières Ingram de l’Université McGill, où elle a longtemps enseigné, s’est éteinte le 23 juillet à l’âge de 105 ans à Kentville, en Nouvelle-Écosse. En 2010, Susan French (professeure à la retraite et ancienne directrice de l’École) a écrit un texte captivant sur les contributions inspirantes et bien connues d’Elizabeth Logan dans le domaine des sciences infirmières.

« Informez-vous auprès du patient, et non dans un livre… Ouvrez vos yeux et vos oreilles… Posez la question plutôt que d’affirmer… Écrivez ce que vous observez ou entendez, réfléchissez-y, puis retournez observer encore… Retournez sans cesse au patient… Comprenez le contexte du patient… Servez-vous de vos connaissances scientifiques pour comprendre ce que vous voyez et entendez… Continuez de développer vos connaissances… Les soins infirmiers sont des soins au patient – ils lui sont spécifiques – alors comprenez le contexte, mais surtout, comprenez le patient. »

Ce sont les paroles d’Elizabeth Logan, ancienne directrice de l’École des sciences infirmières Ingram de l’Université McGill, où elle a longtemps enseigné, au sujet du métier d’infirmière et de sa fabuleuse carrière d’infirmière. Lorsqu’on écoutait Elizabeth parler de son métier, on se rendait compte qu’elle décrivait son credo professionnel. Chercher à savoir, tout remettre en question, toujours se centrer sur le patient, observer et écouter, comprendre le patient dans son contexte familial et communautaire, répondre aux besoins du patient – voilà en quoi consiste, selon elle, le métier d’infirmière.

Elizabeth a déjà mis en garde une classe de finissantes : « il ne suffit pas de connaître les faits et de posséder un grand nombre de compétences pour être infirmière. » Elle leur a expliqué que les soins infirmiers nécessitent un apprentissage actif qui passe par la relation spéciale avec le patient. Elle racontait en riant une de ses expériences d’apprentissage les plus mémorables : « Comme jeune diplômée, on m’a offert un poste d’infirmière-chef à l’Hôpital de Montréal pour enfants, dans une unité de soins de longue durée pour jeunes garçons atteints de tuberculose. Le premier matin, ils ont jeté leur déjeuner par la fenêtre. Je n’ai rien dit, j’ai continué mon travail comme si de rien n’était – mais j’ai observé et j’ai écouté… J’ai appris que les garçons n’aimaient pas la nourriture. Et elle était infecte. J’ai contacté les services d’alimentation. Nous avons fait venir des plats dans l’unité et les garçons ont pu choisir ce qu’ils voulaient. Il y avait un cuisinier fantastique qui savait comment préparer la nourriture. Ils n’ont plus rien jeté par la fenêtre! »

Elizabeth avait appliqué avec brio le modèle de soins infirmiers qu’elle avait appris dans son programme de maîtrise en sciences infirmières à l’Université Yale, promotion 1937. Selon son récit, comme jeune diplômée en sciences avec une concentration en biologie (Université Acadia, promotion 1934), elle n’a pas choisi les sciences infirmières – ce sont elles qui l’ont choisie. Alors qu’elle évaluait ses options de carrière, dont le travail social, l’une de ses tantes, une infirmière qui habitait aux États-Unis, est intervenue avec beaucoup de doigté. Ayant pour amie la directrice de l’École des sciences infirmières de l’Université Yale, sa tante lui a demandé d’envoyer à Elizabeth une brochure au sujet du programme, ainsi qu’une invitation à postuler. « Ma tante savait que je résisterais si elle essayait de me dire quoi faire; elle a donc abordé les choses indirectement. J’ai lu la brochure et ça avait l’air formidable, donc j’ai postulé. » Elizabeth est allée à Yale et ne l’a jamais regretté. Elle avait trouvé sa profession. Elle a été attirée par les soins pédiatriques et par Montréal dès le début de sa carrière.

Pendant qu’elle était à Montréal, son esprit curieux et sa soif de défis l’ont poussée à accepter un poste à l’Hôpital de Boston pour enfants comme infirmière dans une équipe de recherche centrée sur les enfants atteints de paralysie cérébrale. C’est là qu’elle a perfectionné ses talents d’observation et de consolidation d’équipes, tout en développant ses habiletés et son identité d’infirmière. Cette collaboration avec toutes sortes de gens issus des sciences infirmières, de la médecine et d’autres professions, tous poursuivant un objectif commun, était une expérience d’apprentissage exaltante pour Elizabeth. Ces expériences ont renforcé sa conviction que la profession infirmière devait défendre fermement son rôle en santé et au sein des équipes de soins de santé.

Elizabeth a amené sa conception des sciences infirmières à McGill dans les années 1940, après avoir travaillé dans des contextes de santé pédiatrique et communautaire aux États-Unis, notamment au sein des services de santé publique de la ville de New York. Ses études en sciences à l’Université Acadia lui ont fait apprécier l’apport des sciences biologiques et physiques aux sciences infirmières, alors que ses études à Yale et son expérience de travail ultérieure l’ont convaincue de la nécessité d’élargir l’horizon de la formation. À McGill, elle a trouvé une alliée qui partageait ses idées : Rae Chittick, directrice de l’École des sciences infirmières à l’époque, était favorable à une formation offrant une base solide en sciences, en arts et en sciences humaines. Pour les étudiantes en sciences infirmières de McGill, de nouveaux éléments ont intégré l’environnement d’apprentissage : la valorisation de l’apprentissage continu, la réalisation d’interventions plus efficaces grâce à la recherche, l’importance de se percevoir comme membres de la société et de voir le monde en termes humains. Plus d’un demi-siècle plus tard, une forte base en sciences et un enseignement libéral caractérisent toujours les programmes de sciences infirmières mcgillois. L’accent sur l’observation, l’écoute, les entretiens, la collaboration avec le patient pour atteindre ses objectifs et l’approche centrée sur le patient comme personne et membre d’une famille et d’une communauté sont des aspects essentiels des sciences infirmières à McGill et dans les établissements qui y sont affiliés.

Durant ses premières années, l’École des sciences infirmières de McGill a joué un rôle de premier plan dans le développement des soins infirmiers internationaux. Les étudiants étrangers étaient accueillis chaleureusement et sont devenus partie intégrante du programme de sciences infirmières. Les membres du corps professoral, dont Elizabeth Logan, agissaient comme consultantes dans le développement des sciences infirmières dans d’autres pays. Lorsqu’on lit les comptes rendus des activités de consultation d’Elizabeth (Université d’Aarhus, au Danemark, pour le compte de l’Organisation mondiale de la santé [OMS], 1961; Université d’Ibadan, Nigéria, pour le compte de l’OMS, 1969; University of the West Indies pour le compte du Secrétariat de la Communauté caribéenne, 1978) et ses présentations sur les sciences infirmières, on est frappé par la constance des messages. Elle n’a jamais cessé de croire que les sciences infirmières jouent un rôle capital dans l’élaboration et la prestation des services de santé. Au début des années 1960, elle présentait des idées que nous associons souvent aux pratiques actuelles en soins infirmiers : le concept du continuum de santé; la santé comme une qualité relative – un indice ponctuel – dénotant l’ajustement d’une personne à sa situation de vie; les relations de collaboration entre la formation, la recherche et la pratique en sciences infirmières; l’élimination des tâches non liées aux soins infirmiers pour permettre aux infirmières de se concentrer sur leur objectif premier; la formation d’équipes de soins réunissant les professions établies et émergentes en santé; la conciliation entre une carrière d’infirmière et le mariage ou le rôle de parent; la reconnaissance du rôle des hommes en sciences infirmières; et les programmes de formation appropriés pour plusieurs types d’infirmières. Elle préconisait fortement la recherche de solutions intéressantes aux problèmes de santé et préférait aider les gens à mettre leurs propres idées en pratique plutôt que de leur dire quoi faire. Elle suivait de près les changements qui s’opéraient dans les services, les rôles et les fonctions en santé, et comprenait la nécessité d’un dialogue entre les différentes professions de la santé afin de bien réévaluer et réaligner des fonctions de chacun.

Elizabeth reconnaissait les liens entre les besoins de la société, des collectivités et de la formation en sciences infirmières et savait que la profession devait déterminer elle-même son avenir. Il n’est donc pas étonnant que, comme présidente de l’Association canadienne des écoles universitaires de nursing (ACEUN, aujourd’hui ACESI), elle ait joué un rôle déterminant dans l’établissement du groupe de travail qui allait élaborer un système d’agrément pour les programmes de sciences infirmières de premier cycle au Canada. Sa défense de ce projet a grandement contribué à la mise en place de ce système.

Ses convictions au sujet des sciences infirmières et ses récits de sa vie d’infirmière révèlent la force subtile, quoique puissante, qu’elle a été dans la profession. Ce que nous valorisons aujourd’hui en sciences infirmières est, en grande partie, ce qu’elle a pratiqué et prêché pendant plus de sept décennies. À sa propre façon et sans coup d’éclat, elle a fait la promotion d’une identité forte pour les infirmières et d’une approche proactive au sein du monde complexe et changeant des soins de santé. Ceux et celles qui ont eu la chance d’avoir Elizabeth comme enseignante à McGill savent combien elle a influencé notre vision des sciences infirmières et de notre carrière.

Elizabeth n’a jamais cessé d’apprendre. Après sa retraite de McGill, elle a pris la décision difficile de quitter Montréal, sa ville bien aimée, et de s’installer en Nouvelle-Écosse pour être près de sa famille. Elle s’est consacrée pendant des années à l’action communautaire, notamment pour aider les familles immigrantes à s’établir. Comme jeune femme dans les années 1930, on lui avait dit que les femmes n’étudiaient pas les sciences; elle a répondu en choisissant la biologie et en y excellant. Quant au défi de vieillir, elle y a répondu d’une façon semblable : elle est restée indépendante et a cherché à comprendre ce qui se passait dans le monde tout en composant avec les contrariétés de la vie quotidienne. Elle a toujours continué de s’intéresser aux sciences infirmières, à McGill et à Montréal, et elle était particulièrement ravie du projet « Highlands of Hope » en Tanzanie : « Voilà de vrais soins infirmiers! »

Parmi ses multiples initiatives, Elizabeth Logan a contribué en 2007 à la mise en place d’un fonds de dotation à l’École des sciences infirmières Ingram. Ce fonds est grandement apprécié des corps professoral et étudiant.
Lire l’article nécrologique.

 

Le 23 août 2017