Ces trois étudiantes de McGill en sciences de la santé ont ouvert leur cœur et offert leurs bras aux CHSLD au plus fort de la première vague de la pandémie. Elles en ont tiré des leçons inoubliables sur les soins aux patients et le travail d’équipe.


Par Gillian Woodford
Photos fournies par Claire Gane, Sabrina Bergeron et Anjellica Chen

Pendant la première vague de la pandémie de COVID-19, qui a frappé si lourdement les centres de soins de longue durée de Montréal, des centaines d’étudiantes et étudiants de McGill ont répondu à l’appel à l’aide du gouvernement et sont montés au créneau.

Tandis que nous luttons contre une deuxième vague dévastatrice, nous avons pris des nouvelles de trois étudiantes de la Faculté de médecine et des sciences de la santé qui ont travaillé comme aides aux préposés dans des CHSLD de Montréal – dont l’une a été infectée par le SRAS-CoV-2. Reconnaissantes d’avoir eu l’occasion d’aider, elles nous parlent des répercussions de cette expérience sur leur vie, leur formation et la manière dont elles prendront soin des patients à l’avenir.

 

Claire Gane : « Les petits moments peuvent faire une grande différence. »

Étudiante finissante en ergothérapie, Claire Gane était l’une des premières à McGill à se porter volontaire. Après avoir suivi une brève formation de la Croix-Rouge, elle a été affectée à une « zone chaude » (un étage pour patients atteints de la COVID-19) du Centre de soins prolongés Grace Dart, membre du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, à titre d’aide aux préposés.

Le CHSLD, aux prises avec une importante éclosion ayant causé de nombreux décès, manquait cruellement de personnel. « Dans mon unité, il n’y avait que deux préposés aux bénéficiaires pour environ 40 résidents. En temps normal, il y en aurait eu sept ou huit », raconte-t-elle. La première journée a été plutôt intense. Le personnel a rapidement attelé les étudiants à la tâche et ceux-ci n’ont pas tardé à passer des cabarets, à aider les résidents à manger et à se replacer dans leurs lits, ainsi qu’à changer des couches. Pour beaucoup d’entre eux, c’était une première, mais Mme Gane explique qu’elle était mieux préparée en raison de sa formation en ergothérapie : « Par exemple, je savais comment aider à transférer les gens dans leur lit et prévenir les plaies de lit. »

Par contre, elle n’était pas préparée à être témoin des ravages causés par la solitude chez les résidents, qui n’étaient pas autorisés à quitter leur chambre ni à recevoir de visiteurs. Elle a été marquée par un résident en particulier au début de son affectation.

Vers la fin de son quart de travail, la médecin de garde a avisé Mme Gane que l’un des résidents de l’unité n’avait pas réussi à parler à sa famille depuis longtemps. « Elle m’a dit : “Ses proches s’inquiètent beaucoup pour lui. Voudrais-tu essayer de les mettre en communication?” » Mme Gane a immédiatement appelé la fille de ce patient et ils ont pu avoir leur première conversation depuis des semaines.

Sur le coup, cela ne semblait pas si extraordinaire, mais dans les jours qui ont suivi, Mme Gane a remarqué un changement. « Avant cette conversation, il parlait et mangeait à peine, mais après, son attitude s’est transformée. C’était merveilleux à voir, dit-elle. Malheureusement, pendant une journée normale, nous n’avions pas le temps de faire ce genre de choses. Mais les petits moments comme celui-là, qui semblent anodins, peuvent faire une grande différence. »

Mme Gane s’est bien adaptée et a même aidé à former de nouvelles recrues. Puis, après environ un mois, elle a commencé à avoir des maux de tête, ce qui lui arrive rarement. « Je me suis dit : “Est-ce que je pourrais avoir la COVID?” » Aussitôt, elle a passé un test et s’est isolée, après avoir consulté son employeur (elle était déjà très prudente, puisqu’elle travaillait en zone chaude). Le lendemain, elle a reçu son résultat : positif.

« Je n’étais pas surprise, dit Mme Gane. Il était vraiment difficile d’appliquer toutes les mesures de protection à ce moment-là, alors je savais qu’il y avait un risque. » Elle avoue qu’en recevant son diagnostic, elle était un peu nerveuse, mais comme ses symptômes se sont limités à des maux de tête, elle a cessé de s’inquiéter. « Je sais que pour certaines personnes c’est bien pire, mais mon cas était très léger. »

Après presque un mois d’absence (en partie à cause d’une série de résultats positifs après son rétablissement), Mme Gane a pu reprendre le travail. Même si elle n’avait jamais remis en question son retour au CHSLD, elle était soulagée de découvrir que l’effectif était pratiquement revenu à la normale, que l’accès à l’équipement de protection individuelle s’était amélioré et qu’il y avait très peu de cas actifs de COVID-19. « J’étais heureuse d’être de retour et de voir que la situation était moins dramatique. »

Un autre grand changement attendait Mme Gane : « L’ergothérapeute de Grace Dart, qui donnait de la formation comme moi, m’a demandé si j’aimerais travailler avec l’équipe d’ergothérapie. » Mme Gane a fait quatre quarts de travail par semaine avec l’équipe d’ergothérapie et de réadaptation pendant l’été, tout en poursuivant son projet de recherche. Elle a pu terminer son dernier stage clinique et ainsi obtenir son diplôme à la fin octobre. Cette semaine, elle est entrée en fonctions comme ergothérapeute à l’Hôpital juif de réadaptation de Laval.

Son expérience à Grace Dart a influencé l’approche qu’elle veut adopter dans le cadre de sa pratique, surtout en matière d’interprofessionnalisme. « Nous ne collaborons pas tellement avec les préposés aux bénéficiaires, mais nous devrions le faire davantage, affirme-t-elle. Ils connaissent très bien les patients, tandis que nous, les ergothérapeutes, n’avons pas toujours beaucoup de temps à passer avec chaque personne. C’est une réalité du milieu clinique. »

Même si elle a contracté la COVID-19, Mme Gane ne regrette pas du tout de s’être portée volontaire pour travailler à Grace Dart. « J’étais simplement contente de pouvoir aider », conclut-elle.

 

Sabrina Bergeron : « En tant que future médecin, j’ai vraiment découvert une réalité que je ne connaissais pas très bien. »

Sabrina Bergeron, Ph. D., était aussi parmi les premiers étudiants à offrir son aide dans les CHSLD. Elle a également été affectée à Grace Dart. « La décision d’aller donner un coup de main là où je pouvais aider a été très facile à prendre », explique Mme Bergeron, qui était à l’époque chercheuse postdoctorale en pathologie oculaire et qui est aujourd’hui étudiante de première année en médecine à McGill.

Le travail lui-même n’était pas facile, admet Mme Bergeron. « J’étais absolument terrifiée, parce que je n’avais jamais rien fait de tel dans ma vie. Nous étions en crise et je voulais bien faire, rapidement, mais je n’avais aucune idée de ce que je faisais », raconte-t-elle en se remémorant ses premiers quarts de travail. Dans l’unité de 38 personnes où elle a été affectée, il n’y avait qu’un préposé aux bénéficiaires d’expérience en fonction. Tous les autres étaient nouveaux. « Les préposés étaient débordés et tristes – car ils aimaient les résidents –, mais ils étaient très accueillants et accessibles », dit-elle.

Comme Mme Gane, Mme Bergeron a été profondément bouleversée par les conséquences de l’isolement sur les résidents. Mais il y avait aussi des moments de connivence, brefs, mais tendres : « Lors d’une journée plus calme, j’ai pu tresser les cheveux des résidentes », se souvient-elle.

Même si elle adorait son travail au laboratoire, elle a quitté le CHSLD avec un pincement au cœur. « J’étais triste, confie-t-elle. J’ai retrouvé mon emploi habituel, qui me comble, mais ils avaient encore besoin d’aide. J’aurais aimé travailler là-bas plus longtemps. »

Elle assure qu’elle n’oubliera jamais le mois qu’elle a vécu. « Cette expérience a changé ma vie, dit-elle. En tant que future médecin, j’ai vraiment découvert une réalité dont j’ignorais l’existence. J’ai beaucoup appris. » Elle a également tiré d’importantes leçons de vie de son expérience : « Je vais ralentir, cultiver ma gratitude et cesser de me concentrer sur l’objectif pour mieux profiter du chemin. »

 

Anjellica Chen : « Voir tout le monde travailler en équipe pour que les choses continuent d’avancer, malgré les ressources limitées – c’était vraiment beau. »

Anjellica Chen, étudiante de troisième année en médecine, a sauté sur cette occasion d’apporter son aide. « Je n’ai pas hésité une seconde, dit-elle. J’ai beaucoup travaillé auprès d’adultes vulnérables, alors je connaissais déjà ce milieu. » Elle a été affectée au Centre gériatrique Maimonides Donald Berman, membre du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal dans Côte-Saint-Luc, où elle a effectué des quarts de fin de semaine en « zone froide » pendant le mois de mai.

Elle raconte qu’il lui a fallu quelques quarts de travail avant de réaliser à quel point l’établissement manquait de personnel, tellement les préposés aux bénéficiaires travaillaient fort pour compenser ce déficit. « On apprend à comprendre les préposés et le personnel infirmier et à se mettre à leur place », explique Mme Chen. « On réalise qu’ils ne font pas un travail facile et qu’ils sont très importants pour l’équipe. »

Mme Chen a aimé pouvoir passer un peu plus de temps avec les patients que d’habitude. Lorsqu’elle fait des stages cliniques, elle entend parler des antécédents médicaux des patients, mais pas de leur vécu personnel. Elle a d’ailleurs beaucoup appris. « Par exemple, j’ai découvert qu’il y avait plusieurs survivants de l’Holocauste parmi les résidents de mon unité, confie-t-elle. Les préposés m’ont expliqué qu’ils avaient remarqué que quand ces patients sont atteints de démence, ils sont plus nerveux et plus méfiants envers le personnel qui intervient auprès d’eux. »

Le travail de Mme Chen a pris fin quand ses stages cliniques ont repris, le 15 juin. « J’ai dû arrêter fin mai, parce qu’il fallait que je fasse une quarantaine de deux semaines avant de revenir à l’hôpital. »

En définitive, Mme Chen est heureuse d’avoir passé ce mois au Centre Maimonides quand il était impossible pour elle de faire des stages cliniques. « J’ai vraiment aimé le temps que j’y ai passé. J’ai pu voir l’interprofessionnalisme à l’œuvre, dit-elle. Voir tout le monde travailler en équipe pour que les choses continuent d’avancer et pour prendre soin des résidents, malgré les ressources limitées – j’ai trouvé cela vraiment beau. »

 

Les CIUSSS : « Cela nous aide à former une prochaine génération qui sera motivée à prendre soin des aînés. »

Les deux CIUSSS qui ont lancé un appel de détresse au printemps sont reconnaissants envers les étudiants et étudiantes qui sont venus en renfort dans les pires moments de la crise.

« Nos travailleuses et travailleurs de la santé étaient fatigués, raconte Cindy Starnino, directrice des affaires académiques et de l’éthique en recherche au CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal. Leur arrivée a vraiment remonté le moral des troupes. »

Renée Proulx, Ph. D., qui à l’époque était directrice déléguée, Affaires universitaires, enseignement et recherche au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, abonde dans le même sens : « Les étudiants et étudiantes ont été formidables et leur présence a fait une réelle différence. »

Mme Starnino a le sentiment que cette initiative aura des répercussions durables – sur les étudiants et, espère-t-elle, sur le système de santé. « Quand on songe au nombre d’étudiants qui ont levé la main, pour moi, c’est un rayon de lumière, dit-elle. Les étudiants ont eu une occasion exceptionnelle de constater quel travail précieux doit être fait dans les établissements de soins de longue durée. Cela nous aide à former une prochaine génération qui sera motivée à prendre soin des aînés. »

 

 

Le 10 décembre 2020